Mademoiselle,
Mademoiselle Léonie de Repentigny,
à
Saint-Charles.
Pour une petite pièce de monnaie, il fit ensuite porter le billet à son adresse.
Léonie venait de changer de costume, quand on le lui remit, en annonçant que sir William, arrivé depuis une demi-heure, était allé rendre ses devoirs à sa mère.
Surprise à la réception de ce billet, dont l’écriture ne lui semblait pas étrangère, la jeune fille le décacheta avec une certaine émotion.
Ses yeux volèrent aussitôt à la signature.
Paul, disait cette signature.
– Paul ! Paul ! je ne connais point de Paul, murmura Léonie, en parcourant la missive.
Elle était ainsi conçue :
« Mademoiselle,
« J’aime à vous remercier pour les lignes que vous m’avez remises à bord du Charlevoix ; ces lignes m’avertissaient qu’on m’avait découvert sous mon déguisement de planteur ; par conséquent je vous dois d’être libre, car aussitôt je sautai dans le fleuve et gagnai la rive à la nage. J’aurais voulu pouvoir vous témoigner plus tôt ma reconnaissance. Des causes majeures s’y sont opposées. Obligé aujourd’hui de vous écrire pour vous déclarer que je ne puis accepter votre invitation, je mets à profit cette circonstance et vous exprime la gratitude de votre tout dévoué,
« Paul. »
« P. S. Vous avez chez vous un jeune officier anglais ; qu’il ne sorte pas de la journée. Il y va de sa vie. »
Cette singulière épître troubla si fort Léonie, qu’elle n’entendit pas la cloche qui sonnait le dîner.
Madame de Repentigny l’envoya chercher par une domestique.
– Mon ange, lui dit-elle, en la baisant au front, tu feras les honneurs, car je suis un peu souffrante.
La jeune fille avait repris son assurance, remettant au soir le soin de relire et de commenter la lettre de l’Indien.
Sir William King, Xavier Cherrier, sa femme et un vieux parent de M. de Repentigny attendaient déjà, sans cérémonie, dans la salle à manger.
– Eh bien, notre Antinoüs sauvage ne vient donc pas ? questionna Cherrier.
– Je ne sais, mais ce n’est pas probable, répondit Léonie d’un ton quelque peu hypocrite.
Le repas fut assez triste, sir William et Cherrier n’ouvraient la bouche que pour s’adresser des épigrammes trop peu voilées.
Comme on causait politique au dessert, le parent de M. de Repentigny dit, en branlant la tête :
– Ça ne fait rien, le parti anglais a reçu aujourd’hui une fière blessure !
– Ah ! riposta sir William, en décochant un regard ironique à Cherrier, si nous devions compter toutes celles que nous avons faites aux Canadiens-français, nous ne trouverions pas assez de chiffres dans la table de multiplication. Demandez plutôt à monsieur !
Xavier se mordit les lèvres pour ne pas éclater. Mais il sut se contenir, se leva de table et remonta avec sa femme dans leur appartement.
Le vieux monsieur sortit aussi pour aller faire un tour de promenade.
L’officier, s’approchant alors de Léonie, lui prit la main comme s’il voulait la porter à ses lèvres.
La jeune fille recula d’un pas, en retirant sa main.
– Sir William, dit-elle gravement ; vous vous êtes battu avec mon cousin ; ne niez pas... ; j’en suis sûre ; je ne saurais aimer l’homme qui a versé le sang de l’un des miens. Ainsi donc tout est rompu entre nous. N’essayez point de me fléchir, vous perdriez votre temps. Mais je ne manquerai point pour cela aux devoirs de l’hospitalité ; vous pouvez rester ici tant qu’il vous plaira ; je vous engage même à ne pas quitter la maison aujourd’hui. On m’a prévenue que vos jours seraient en danger, si vous mettiez le pied dehors.
Laissant le jeune homme bouleversé par ces paroles, Léonie de Repentigny regagna sa chambre à coucher.